Roberto Malkasian is a professor at the faculty of law in Buenos Aires, his below statement was at the First Forum of Armenian Lawyers concerning the right of self determination of the people of Nagorny Karabagh (Artsakh)
Mesdames et Messieurs:
C'est un honneur pour moi et pour les juristes de l' association argentine que je représente de participer à ce Premier Forum Pan-Arménien des Juristes en notre Mère Patrie.
Je souhaiterais aborder brièvement la question des principes juridiques qui régissent en Droit International le droit du peuple de Nagorno-Karabagh à l'autodétermination, sur la base d'une intervention que j'ai effectuée lors de la 44e période de séances de la Sous-Commission des Droits de l'Homme des Nations Unies, à Genève, le 17 août 1992. À cette occasion, j'ai représenté l'Assemblée Interinstitutionnelle Arménienne d'Argentine, composée par presque toutes les associations arméniennes de Buenos Aires, qui se sont solidarisées avec la lutte de notre peuple pour rendre ce droit effectif, depuis le début des pogroms anti-arméniens en 1988, en dénonçant les évènements de violence devant cette même Sous-Commission des Nations Unies.
Le simple fait d'avoir été considéré « Région Autonome » démontre que les autorités soviétiques et azerbaïdjanaises étaient et sont conscientes qu'il existe, sur le territoire de Nagorno-Karabagh, un peuple différent de celui de l'unité politique du territoire sur lequel il a été inséré.
Ce même peuple lutte aujourd'hui pour être maître de son propre destin, s'appuyant sur le droit à l'autodétermination reconnu par les arts. 1 et 55 de la Charte des Nations Unies, dans l'art. 1 commun aux deux Pactes de l'ONU sur les droits de l'homme de 1966, les Résolutions 1514 (XV), 2625 (XXV) de l'Assemblée Générale de l'ONU et d'autres Résolutions, Déclarations et instruments internationaux qu'il s'avère impossible d'énumérer ici, vu le temps limité dont je dispose pour cet exposé.
Malheureusement, les gouvernements successifs d'Azerbaïdjan n'ont pas respecté le droit du peuple de Nagorno-Karabagh à l'autodétermination et ont mené une lutte armée ayant causé plus de 2.000 morts et pouvant finir par déstabiliser toute la région du Caucase.
Par cette attitude, on viole un principe du Droit International général qui constitue, en outre, une norme du ius cogens devant être respectée par tous les États.
Le non-respect du droit à l'autodétermination a une incidence directe sur les autres droits de l'homme, vu que celui-ci constitue l'une des conditions nécessaires pour que toute personne puisse jouir de ses droits économiques, sociaux et culturels, ainsi que de ses droits civils et politiques. Cela a été reconnu depuis déjà 41 ans par la Proclamation de Téhéran, adoptée par la Conférence internationale des droits de l'homme, le 13 mai 1968.
Pour que le droit à l'autodétermination puisse être exercé, les conditions et caractéristiques suivantes seront requises, conformément à ce que l'on constate dans l'étude menée en 1979 par l'alors Rapporteur Spécial de la Sous-Commission, M. Héctor Gros Espiell (« Le droit à l'autodétermination » E/CN.4/Sub.2/405/Rev.1).
Il faut souligner en premier lieu que le titulaire du droit subjectif à l'autodétermination est un peuple; mais que c'est également la personne humaine, attendu que tout individu a le droit à ce que l'on reconnaisse au peuple qu'il intègre le droit à disposer librement de sa condition politique, économique, sociale et culturelle.
À cet égard, je viens de signaler que le peuple de Nagorno-Karabagh, intégré à 80% par des Arméniens, a constitué une Région Autonome, politiquement dépendante du gouvernement d'Azerbaïdjan.
Un peuple, d'après Gros Espiell, est « ... toute forme particulière de communauté humaine, unie par la conscience et la volonté de constituer une unité capable d'agir en vue d'un avenir commun... » (Op. Cit, par.56,p.9)
La spécificité du peuple de Nagorno-Karabagh est évidente par elle-même. Il s'agit du peuple arménien, qui vit sur ce territoire depuis des temps immémoriaux, qui se distingue du peuple azéri parce qu'il possède une autre religion, une autre langue, une autre culture, qu'il appartient à un groupe ethnique différent et, surtout, qu'il a la volonté de régir son avenir par lui-même. Voilà pourquoi il s'est déclaré indépendant le 2 septembre 1991. Ces caractéristiques sont fondamentales pour distinguer ce cas de celui des Îles Malouines, que l'Argentine réclame au Royaume-Uni, car celui-ci a usurpé son territoire en envahissant militairement les îles en 1833 et a expulsé les autorités argentines qui y gouvernaient. Il a également expulsé la population argentine qui habitait les îles et l'a remplacée par une autre population importée de Grande-Bretagne.
Les juristes argentins d'origine arménienne, nous éprouvons une profonde satisfaction vis-à-vis de la collaboration entre les gouvernements argentin et arménien dans la solution de ce conflit.
Deuxièmement, le droit à l'autodétermination, soutient Gros Espiell, doit s'exercer face à la domination coloniale et étrangère.
Le peuple de Nagorno-Karabagh s'est vu soumis à ce type de domination, étant donné que son précédent statut de Région Autonome n'a jamais eu aucune efficacité. Le gouvernement d'Azerbaïdjan a discriminé sans retenue la population arménienne, la condamnant brutalement à un sous-développement économique, social et culturel duquel elle tente de se dégager depuis une vingtaine d'années, au prix de milliers de morts et de blessés.
La réponse à la domination azérie fut la déclaration d'indépendance du peuple de Nagorno-Karabagh.
Sous réserve du concept classique de « domination coloniale et étrangère », correspondant au cas de Nagorno-Karabagh, nous ne devons pas ignorer que le caractère dynamique du Droit International a dépassé ledit concept depuis plusieurs années. En effet, à travers la pratique observée par la communauté internationale dans le processus de disgrégation de ce que fut l'Union Soviétique, on constate que l'exercice du droit à l'autodétermination a été reconnu de façon générale et pacifique, en dehors de la notion classique de « domination coloniale et étrangère ».
Il n'existe aucun motif pour ne pas appliquer également cette nouvelle pratique ainsi que les principes du Droit International à Nagorno-Karabagh.
D'autre part, je souhaite souligner que le principe d'intégrité territoriale de l'État ne s'avère pas opposable au peuple arménien de Nagorno-Karabagh pour les raisons suivantes:
Primo, parce que ce principe cède devant celui de l'autodétermination si celui-ci, tel est le cas de Nagorno-Karabagh, s'exerce conformément à ce qui est établi par le Droit International.
Secundo, parce que l'unité étatique d'Azerbaïdjan, en ce qui concerne Nagorno-Karabagh, est une fiction. Je cite une fois de plus Gros Espiell lorsqu'il dit « ... si, sous le masque d'une prétendue unité étatique, une domination coloniale et étrangère réelle existe en fait, quelle que soit la formule juridique derrière laquelle on cherche à masquer cette réalité, on ne peut méconnaître le droit d'un peuple assujetti sans violer le droit international » (Op. Cit., par.60 p.10). Cette affirmation a trente années d'avance par rapport à ce qui est arrivé et arrive encore aujourd'hui à Nagorno-Karabagh.
En troisième lieu, le principe d'unité étatique n'est pas non plus applicable, car l'intégrité territoriale des États est liée à l'obligation pour ceux-ci d'être « ...pourvus d'un gouvernement qui représente la totalité du peuple appartenant au territoire, sans distinction pour des motifs de race, religion ou couleur... » (Déclaration sur les principes de droit international concernant les rapports d'amitié et la coopération entre les États conformément à la Charte des Nations Unies, adoptée par la Résolution 2625 (XXV) de l'Assemblée Générale des Nations Unies).
Il ne semble pas nécessaire de rappeler que le gouvernement d'Azerbaïdjan, non seulement ne représente pas 80% de la population de Nagorno-Karabagh, mais qu'il a mené une guerre à l'encontre de celle-ci.
Enfin, la troisième et dernière condition exposée dans l'étude citée est que le droit à l'autodétermination suppose l'expression libre et authentique de la volonté du peuple.
Dans le cas de Nagorno-Karabagh, le 10 décembre 1991, un référendum a relevé que 95% des électeurs approuvait son indépendance d'Azerbaïdjan.
Cet exposé, bref et élémentaire, démontre que Nagorno-Karabagh remplit les dispositions du Droit International pour qu'un peuple exerce son droit à l'autodétermination.
Ainsi, les conséquences juridiques de cette situation sont les suivantes:
1. La communauté internationale doit reconnaître la personnalité internationale de Nagorno-Karabagh.
2. Tous les États et les Organisations Internationales ont le devoir juridique non seulement de ne pas s'opposer à l'exercice du droit du peuple de Nagorno-Karabagh à l'autodétermination, mais, en outre, l'obligation positive de contribuer à ce que ce droit devienne effectif.
3. La légitimité de l'exercice du droit de défense par le peuple de Nagorno-Karabagh doit être reconnue et celui-ci doit être assisté par tous les moyens possibles.
4. La communauté internationale doit exiger l'arrêt immédiat des menaces d'Azerbaïdjan d'utiliser la force armée contre le peuple de Nagorno-Karabagh.
5 Il devra être exigé à tout État assistant militairement l'Azerbaïdjan de s'en abstenir, en rappelant que, par sa conduite, il engage sa propre responsabilité internationale.
6. Le Groupe de Minsk, de l'Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe, doit nécessairement tenir compte des principes du Droit International qui s'appliquent dans le cas de Nagorno-Karabagh, et qui ont été brièvement détaillés dans cet exposé, aux effets de proposer une solution qui respecte et garantit le droit à l'autodétermination du peuple arménien de ce territoire. Toute solution ne respectant pas la volonté du peuple de Nagorno-Karabagh librement exprimée, pour décider son statut définitif, n'est pas légale et viole le Droit International.
Pour conclure, il faut rappeler que les peuples arménien et azéri sont voisins depuis des siècles. Tous deux, et chacun à sa façon, ont fait de gigantesques efforts afin de se forger un avenir de liberté et de développement. Pour parvenir à ces fins, ils ont besoin de la coopération mutuelle, dans un cadre de respect absolu des droits de l'homme et des libertés fondamentales, car on ne saurait y parvenir si l'on ne reconnait pas la source de ces droits, c'est-à-dire le droit du peuple de Nagorno-Karabagh à l'autodétermination.
Je vous remercie
ROBERTO MESROB MALKASSIAN